Ce poste est gratuit
Entretien

Le pape à Dubaï ? « Une très bonne nouvelle », confie Ségolène Royal, présidente de la COP21 sur le climat [ENTRETIEN]

Ségolène Royal, ministre de l'environnement, lors de la COP21, en 2015 © FlickR UNclimatechange

Début novembre, à la télévision italienne, le pape François a de nouveau raconté la façon dont Ségolène Royal lui avait suggéré en 2014 d’avancer la date de la publication de l’encyclique Laudato si’ afin qu’elle paraisse avant le sommet de Paris sur le climat, fin 2015.

Un épisode dont se souvient l’ancienne ministre de l’Environnement et présidente de la COP21, qui a accepté de répondre aux questions d’I.MEDIA à l’occasion d’un passage à Rome pour la présentation de son livre Refusez la cruauté du monde ! Le temps d’aimer est venu (Éditions du Rocher). Un livre qu’elle a envoyé au pape François qui lui a récemment répondu une « magnifique lettre », confie-t-elle.

Alors que le chef de l’Église catholique a annoncé sa venue à la COP28 de Dubaï en décembre, Ségolène Royal salue la capacité du pape François à « remuer les consciences » et son discours pour une « écologie intégrale ». 

***

Régulièrement, le pape François raconte la façon dont vous lui avez demandé d’accélérer la publication de l’encyclique Laudato si’ pour qu’elle paraisse avant la COP21 de Paris. Comment cela s’était-il passé ?

Je m’étais portée volontaire pour accueillir au nom de la France le pape François à Strasbourg en novembre 2014. Après l’accueil sur le tarmac, nous avons été conduits dans un salon protocolaire de l’aéroport, en attendant le départ vers le parlement européen. J’avais lu quelques jours avant qu’il préparait une encyclique sur le climat. Je préparais alors la COP21 avec bien sûr le souci qu’elle débouche sur une décision. Je l’ai interrogé et il m’a répondu qu’il y travaillait effectivement pour une publication dans deux ans.

Comme il l’a rappelé plusieurs fois, j’ai osé lui suggérer de l’avancer avant le sommet de Paris afin qu’elle puisse mobiliser les consciences. Il a réagi immédiatement, me disant que c’était une évidence. Devant moi, il a fait appeler au Vatican ! Et je l’ai entendu dire : « Je suis avec madame Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, il faut absolument accélérer les choses, dès que je reviens au Vatican, je veux voir où vous en êtes ». J’étais stupéfaite. Et l’encyclique est parue avant la COP21…

En quoi Laudato si’ a-t-elle joué un rôle positif en matière de lutte contre le réchauffement climatique 

C’est le plus beau texte sur la planète depuis le premier sommet de la Terre, et avant-gardiste. Le pape a été le premier à exprimer le concept d’écologie intégrale. L’idée n’est pas de protéger la nature pour la nature mais bien de comprendre que lorsque vous protégez la nature, vous protégez aussi les humains, vous en prenez soin en protégeant la maison commune. 

La parole du pape est totalement désintéressée, ce qui lui donne la capacité de remuer les consciences. Dans son analyse, il est offensif dans sa dénonciation du capitalisme financier. Il explique que ce capitalisme ne peut que détruire la nature car il considère la planète comme un bien gratuit, livré aux prédateurs, et que tout ce qui n’est pas rentable dans l’immédiat ne vaut rien. Or un arbre prend des années à pousser, mais il peut être détruit en un rien de temps. Il y a une dissymétrie entre le temps long de la nature et la rapidité avec laquelle on peut la détruire. Au-delà des considérations chrétiennes, tout le monde peut se retrouver dans cette encyclique à portée universelle. 

Ce texte nous a aussi donné l’idée d’organiser quelques semaines avant la COP21 le Sommet des consciences pour le climat, réunissant les autorités représentatives de toutes religions et les libres-penseurs, donnant une dimension spirituelle à l’accord de Paris sur le Climat.

Était-ce une surprise pour vous que l’Église puisse consacrer une encyclique à l’environnement ?

Je ne m’y attendais pas. C’est la première fois dans l’histoire de l’Église qu’un pape s’intéresse à ce point à l’écologie. Mais si nous y réfléchissons, François s’inscrit dans la lignée de saint François d’Assise, qui était déjà très ‘moderne’- si l’on peut dire – sur le besoin de protéger la nature et d’en prendre soin.

Le pape et la diplomatie du Saint-Siège peuvent-ils avoir une influence réelle sur la transition écologique dans certains pays, en Afrique par exemple ?

Je pense que la parole du Saint-Siège est écoutée. Elle fait le lien entre la pauvreté et le dérèglement du climat. Retenons cette forte image du pape François sur « la clameur des pauvres qui rejoint la clameur de la terre ». Il n’hésite pas à bousculer les mentalités. Récemment, à la télévision italienne, il a raconté comment des producteurs de pétrole étaient venus le voir pour se justifier après la publication de Laudato si’.

Durant la COP21, j’ai entendu le cri d’alarme de l’Afrique à l’occasion d’une réflexion portant sur la région du lac Tchad. Était mis en évidence le fait que la montée de Boko Haram était due au réchauffement climatique, à l’effondrement des structures villageoises et des agricultures vivrières. L’extrême pauvreté laisse de l’espace à des mouvements terroristes qui donnent un peu d’argent, un uniforme et des armes…

Lier la question des migrations massives de population avec le réchauffement climatique est aussi important. Le pape l’a rappelé lors de son voyage à Marseille en septembre : la question migratoire ne pourra se résoudre que si on répond au défi climatique.

Le pape François va se rendre à Dubaï pour la COP28. Une première pour un pape. Sa présence est-elle plus qu’un symbole ?

C’est une très bonne nouvelle, d’autant plus qu’est inscrit à l’ordre du jour le bilan de la COP21. Le pape François a rappelé que, depuis la conférence de Paris, il ne s’est pas passé grand-chose et que l’énergie déployée en 2015 s’est quelque peu évaporée.

Le choix de Dubaï est intéressant car il s’agit d’un pays producteur d’énergie fossile. Que de tels pays commencent à travailler à l’après pétrole est une bonne chose, et j’espère que les décisions seront à la hauteur et affirmeront clairement qu’il faut trouver les solutions de remplacement des énergies causes des catastrophes climatiques . 

Dans une actualisation de Laudato si’ publiée début octobre et intitulée Laudate Deum, le pape souhaite que soient mises en place des « formes contraignantes de transition énergétique ». Elles devront être « efficaces, contraignantes et facilement contrôlables », insiste le pontife argentin. Est-ce un vœu pieux ?

Il faut s’accrocher à ces objectifs. Pour préparer la COP21, j’avais mis en place des outils efficaces comme les baisses d’impôt pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique, ou la construction de petites voitures électriques qui n’ont pas été maintenus par mes successeurs. Les avancées en faveur de l’environnement sont fragiles et il faut tenir le cap face aux lobbies. En matière d’écologie, il faudrait appliquer le principe de « non régression », pour ne pas pouvoir annuler une action favorable à la transition énergétique.

Sur le format des COP, je pense qu’il serait bon d’évoluer radicalement. Il faut des réunions opérationnelles réparties sur tous les continents plutôt que ces grands sommets où chacun se donne bonne conscience par un discours . De nouvelles négociations sont inutiles puisque nous avons l’accord de Paris à appliquer ainsi que les 70 coalitions d’action opérationnelles. Nous devrions pouvoir évaluer avec un tableau de bord les avancées et les résistances. Quitte à convoquer des réunions – même à distance – sur des problématiques précises et faire en sorte d’identifier et d’aider les pays qui ne remplissent pas leurs obligations.

Que représente pour vous le pape François ?

Une rare autorité morale qui exprime des vérités fortes. Il offre une analyse du monde courageuse, un message d’amour et de paix universelle. Le pape François a une pensée radicale, ou plutôt, intégrale. Quand aujourd’hui on se permet de critiquer le capitalisme financier et les dégâts du libéralisme sur le sort des humains, c’est souvent considéré comme schématique ou inutile. Lui ose le faire avec force et arguments comme dans Fratelli tutti. Sa parole fait du bien. 

Vous avez envoyé au pape François votre dernier livre, Refusez la cruauté du monde ! Le temps d’aimer est venu (Éditions du Rocher). Vous a-t-il répondu ?

Oui . Une magnifique lettre dans laquelle il me remercie de mon engagement pour la « maison commune » et fait part de sa pensée . 

La structure de votre livre reprend une lettre de saint Paul aux Corinthiens. Pourquoi ce choix original ?

Cela m’est apparu comme une évidence vers la fin de l’écriture, quand je cherchais une structure de récit sur tous les exemples de cruauté absurde et nocive de la politique, comme la terrible gestion du confinement – je commence par le souvenir des visites à ma mère en Ehpad. J’ai repensé à ce texte de saint Paul : « L’amour prend patience ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil, etc. ».

J’ai considéré que cette ode à l’amour pouvait s’appliquer au schéma politique, comme un idéal. Et je ne me suis pas censurée ! Ainsi, la politique devrait prendre patience, elle ne devrait pas jalouser, elle devrait se guérir de l’ego…

Ce livre de philosophie politique montre qu’il y a deux façons d’exercer le pouvoir. Soit aimer le pouvoir pour le pouvoir, et c’est malheureusement le cas le plus fréquent. Soit aimer les gens qui vous ont confié provisoirement le pouvoir. Et c’est là que se trouve la clef d’un monde plus humain .

hl