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Entretien

Andrea Tornielli : Les médias du Vatican cherchent à défendre le « schéma de paix » promu par le pape [ENTRETIEN]

Depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, le 24 février 2022, les organes de communication du Saint-Siège se sont fortement mobilisés pour témoigner de la détresse du peuple ukrainien. Le pape et la Secrétairerie d’État semblent pour leur part se positionner sur des principes plus généraux, afin de préserver les contacts avec Moscou et de pouvoir assumer une éventuelle médiation. Le directeur éditorial des médias du Vatican, Andrea Tornielli, revient pour I.MEDIA sur les enjeux de cette guerre en terme de communication.

Depuis plus d’un mois, Vatican News et L’Osservatore Romano ont publié de nombreux articles sur cette guerre en Ukraine, dénonçant clairement la responsabilité de la Russie, alors que le pape s’exprime de façon moins frontale. Comment s’établissent les lignes directrices sur la couverture de cette guerre, au niveau du Dicastère pour la communication ?

Les médias du Vatican essaient d’assurer une communication basée sur des faits, et de soutenir les appels lancés par le pape. Depuis le début, l’agresseur et l’agressé n’ont jamais été mis sur le même plan. Il est clair qu’il y a eu un pays agresseur et un pays qui a été agressé. Et donc le fait que Vatican News et L’Osservatore Romano aient fait des titres sur ce qui est arrivé dans la guerre n’est absolument pas étrange. 

Un autre discours concerne les critiques faites au pape pour ne jamais avoir mentionné le nom de Vladimir Poutine. Mais je voudrais rappeler que pendant l’histoire des dernières décennies, dans leurs prises de parole, les papes ont toujours évité de mentionner des noms. Nous pouvons nous souvenir que lors des événements au Kosovo, en 1999, Jean Paul II n’a jamais nommé Milosevic dans ses appels publics. Et après le début des bombardements de l’OTAN, le pape a demandé, à Pâques 1999, l’ouverture de couloirs humanitaires. 

En continuité donc avec ses prédécesseurs, le pape François parle sur un plan pastoral. Il est proche de la souffrance des victimes, et je dirais que ses paroles et ses appels cherchent à faire prévaloir ce qu’il a défini, dans l’avion de retour de Malte, comme un « schéma de paix » et non un « schéma de guerre ». Il cherche aussi à maintenir une lueur ouverte pour garder une possibilité de négociation avec tous. Et donc il n’y a rien de surprenant. Personne ne peut dire que le pape n’a pas dénoncé clairement ce qui est en train d’arriver. Si on lit bien ses discours, il l’a fait clairement. 

Peut-on dire que le fait de « se salir les mains », d’affronter les critiques en maintenant toujours le contact aussi avec les “méchants”, fait partie de la mission d’un pape, quitte à vivre une forme de “martyre médiatique” ?

Moi, je ne dirais pas qu’il s’agit de se “salir les mains”. Maintenir la porte ouverte, c’est avant tout une question de réalisme, une attitude évangélique. Le réalisme politique, c’est de savoir comment sortir de cette situation, et de définir quel futur de paix nous pouvons construire.

Il ne s’agit pas seulement d’un conflit local ou régional entre la Russie et l’Ukraine, mais d’un conflit dont l’escalade pourrait conduire à la troisième guerre mondiale. Donc, le dialogue reste la position la plus réaliste, non seulement sur un plan prophétique mais aussi avec une vision politique à long terme, comme se situe toujours l’action du pape.

Le pape n’a pas peur de dire les choses comme elles sont. Il a dit que la guerre était un « sacrilège », il a utilisé des paroles très fortes. Mais il a conscience qu’il y a deux solutions possibles : soit l’on arrive à une trêve et à une forme de négociation, soit l’escalade nous conduit tous à quelque chose d’encore plus effrayant. 

Le patriarche de Moscou, qui demeure un interlocuteur pour le pape François, a délivré des homélies très agressives vis-à-vis de l’Occident. Comment ses interventions sont-elles traitées par les médias du Vatican ?

Clairement, ce sont des homélies qui montrent un total alignement, une identification avec les politiques du Kremlin. Il n’y a pas d’autres façons de les définir… Mais nous savons qu’un travail est en cours au sein de l’Église orthodoxe russe en Ukraine. Il y a eu par exemple une pétition signée par des centaines de prêtres et aussi par certains évêques, critiques par rapport aux positions du patriarche de Moscou. Donc c’est un moment très difficile au sein de l’Église orthodoxe. Les médias du Vatican ont publié des articles sur cette pétition demandant au patriarche de changer de position. 

Les voyages du pape en Irak et en Centrafrique ont montré qu’il n’a pas pas peur des voyages soi-disant “impossibles”. Il y a maintenant d’énormes attentes quant à un voyage du pape François à Kiev. Quel est le positionnement des médias du Vatican sur ce projet ? Le simple fait que ce rêve soit formulé, est-ce une information en soi, ou le choix est-il plutôt d’attendre avant d’en parler, pour des raisons de prudence diplomatique ?

Le pape a dit clairement que c’est une proposition « sur la table ». Si les médias du Vatican parlaient d’un rêve, cela donnerait l’impression que ce rêve est une réalité. Pour l’instant, c’est une hypothèse à l’étude. Le pape a dit très clairement qu’il est disposé à tout faire « si les conditions sont réunies ». Alors il faut se demander quelles sont ces « conditions ». 

Moi, je ne crois pas que la question prioritaire, du point de vue du pape, soit celle de la sécurité. Il est clair que cette problématique existe, mais nous avons vu que le pape a assumé des voyages très dangereux en Irak et en Centrafrique, contre l’avis de tous…

Mais je crois que la préoccupation du pape est surtout de savoir si ce voyage permettrait de faire cesser la guerre, concrètement. Quelles sont les conditions qui permettraient de faire en sorte qu’un tel voyage apporte un pas concret, stable, effectif, vers la paix ? Je crois que c’est cela l’interrogation fondamentale par rapport à ce projet. Ce serait en tout cas un voyage pour la paix, pour manifester une proximité à l’égard de tous, aux Églises, à la population. Mais avant d’envisager ces modalités, il faut d’abord savoir si les conditions d’un voyage sont réunies. 

Comment travaillent les sections russe et ukrainienne de Radio Vatican dans ce contexte de guerre ? 

Depuis le début de l’offensive russe, nous avons organisé des réunions quotidiennes élargies, qui ont impliqué beaucoup plus de personnes que d’habitude. Nous avons donné la voix et un espace à nos collègues de ces petites sections, qui sont constamment en contact avec leurs proches et avec les Églises locales.

Cela a été très beau de célébrer le Mercredi des Cendres avec toutes les rédactions : la messe a été concélébrée à l’autel par le prêtre responsable de la section russe et le prêtre responsable de la section ukrainienne, qui est gréco-catholique. Il y a eu une prière particulière, cela a été un très beau moment.

Donc ici, au Palazzo Pio, c’est une guerre que l’on ressent fortement, parce que nous travaillons quotidiennement avec des collègues ukrainiens et russes. Et ensuite nous avons eu des envoyés pour accompagner les cardinaux partis à la rencontre des réfugiés ukrainiens.

Cette solidarité entre les différentes sections a-t-elle permis aussi à Radio Vatican de devenir un relais de soutien humanitaire pour l’Ukraine ?

Oui, il y a eu des annonces, et nous avons notamment participé à la collecte organisée par l’Aumônerie apostolique. Et par les liens personnels de certains collègues, nous avons relayé les informations sur les démarches de solidarité organisées à Rome, pour comprendre comment nous pouvions aider. 

Cette situation tragique au cœur de l’Europe a-t-elle permis de redécouvrir l’importance des petites sections linguistiques de Radio Vatican, après une période de remise en cause dans le cadre de la réforme de la communication ?

Les médias du Vatican transmettent et publient des informations en 51 langues différentes. Toutes les langues sont importantes, toutes les cultures sont importantes. Dans une occasion comme celle-ci, nous voyons émerger encore plus clairement la valeur de ce multilinguisme. Tant que ce sera possible, cela continuera, et c’est beau qu’il en soit ainsi.

L’Acte de consécration au Cœur immaculé de Marie a ainsi pu être suivi en Russie et en Ukraine. Chaque jour nous nous demandons comment communiquer en suivant le « schéma de paix ». Ces rédactions représentent un pont et un contact direct avec ces pays. 

Mais il n’y a pas eu besoin de la guerre en Ukraine pour se rendre compte de l’importance de ces sections. C’est une chose différente de recevoir des informations dans une langue que l’on comprend intimement : en Inde, par exemple, l’anglais est compris à peu près partout, mais les émissions en hindi ou en malayalam apportent autre chose. Cela permet à certains auditeurs de recevoir les nouvelles sur le pape et le Saint-Siège avec la langue du cœur, la langue de la naissance. C’est différent et cela a beaucoup de valeur sur le plan culturel. Le multilinguisme demeure donc un objectif central pour les médias du Vatican. 

Lire aussi notre interview avec le directeur de L’Osservatore Romano : Andrea Monda : « Nous balbutions face à la guerre », mais elle constitue « un moment de vérité »

CV - Rome